Manifeste pour le plastique

Antoine Bocquého
8 min readMar 28, 2023

--

De toutes les matières …
Non non non ce n’est pas la ouate que je préfère. Ce n’est pas le plastique non plus. Ce titre est “pute-à-click” ? Certainement.
Cela dit il n’est pas totalement décorrélé avec ce que j’ai envie de partager ici. J’aurais du préciser : Bio-plastique.

Détails.

En France, en Europe, nous importons la majeure partie de notre bio-plastique, notre PLA (Acide PolyLactique) depuis les US et l’Inde.
Plusieurs centaines de milliers de tonnes, avec une demande qui va se multiplier de façon exponentielle les prochaines années.

Une hérésie, quand on pense qu’il est produit à partir de matériaux d’origine végétale, qui sont ensuite transportés, transformés, re-transportés etc : ces granules de bio plastique auront au final pollué autant en transport qu’un plastique classique, utilisant de l’eau, de l’électricité d’origine fossile, dédiant des terres agricoles vivrières à la culture intensive de maïs, betteraves et autres végétaux dans le seul but d’extraire notre matière première : T’as cru qu’il était écologique, ton bio-plastique ?

En France, nous consommons du plastique. Beaucoup. Trop.

Dans un rapport daté de Mars 2020, les Français font figure de mauvais élèves Européens. En effet, nous sommes les plus gros consommateurs de plastique de l’UE, avec 70kg par habitant, soit un total de 4,8 millions de tonnes/an, dont 45,5% en emballages.

En France, nous fermons des sucreries.

Qu’est-ce qu’une sucrerie ?
Grande industrie en France jusqu’à il y a peu, le sucre est généralement extrait de la betterave sucrière. La betterave est broyée, et après plusieurs étapes nous obtenons du sucre, de l’alcool, de la mélasse et de la pulpe (en gros).

Au passage, nous obtenons à quelques étapes près, de l’acide polylactique, j’y reviendrais plus tard. C’est celui-là même qui sert aujourd’hui à produire nos emballages, consommables en milieu médical, les stunts et sutures résorbables, à imprimer en 3D, à créer des mécanismes légers, des boitiers et pièces diverses, j’en passe.

Nous avons trois principaux acteurs du sucre en France (Tereos, Cristal Union et Saint Louis, pour ne pas les nommer), qui ferment petit à petit les sucreries. Non pas que la demande faiblit, mais la fin des quotas est passée par là, provoquant une libération des marchés, et donc, la chute des prix et la fin de la rentabilité des sucreries françaises. (là aussi, en gros !)

En 2002, en France, il y avait 29 sucreries. Aujourd’hui, 21 sont encore en activité. 4 ont fermé il y a moins de deux ans, d’autres suivront.
Leurs points communs ? Voie ferrée dédiée, grande surface foncière, bacs de décantation, accès routier, proximité avec les grandes surfaces agricoles.

Et en détail, le PLA on le produit comment ?

L’acide polylactique (PLA)

L’acide polylactique, ou PLA, est un homopolymère d’acide lactique. Son procédé de fabrication repose sur la fermentation d’un sucre végétal élémentaire, le dextrose, très présent dans les plantes riches en « sucre » comme le maïs, la betterave, le riz, le manioc, etc.

À la base du procédé, le végétal passe par un broyage humide où l’amidon est séparé. L’amidon est ensuite mélangé avec de l’acide ou des enzymes, puis chauffé. Ce processus « casse » l’amidon en dextrose, que l’on appelle … le sucre !
Enfin, on insère de la mélasse, engendrant la fermentation du glucose qui produit de l’acide lactique, le constituant de base du PLA.

À partir de l’acide lactique, deux méthodes de fabrication du PLA sont possibles. Attention, ça pique :

La première utilise l’acide lactique comme état intermédiaire, ce qui permet d’obtenir un poids moléculaire plus important. C’est ce qu’on appelle la polymérisation par ouverture de cycle.

La seconde méthode consiste en la polymérisation directe de l’acide lactique. Cette méthode est la polycondensation directe. Par la suite il est polymérisé par un nouveau procédé de fermentation pour devenir de l’acide polylactique.

Bref, vous l’aurez compris : une fois que nous avons du sucre, nous avons déjà fait un gros bout du chemin.

“Le PLA est un bioplastique, mais il n’est pas biodégradable !”

Oui. Et non.

La biodégradation du PLA se produit dans les conditions particulières du compostage industriel en conditions contrôlées de température (60°c), d’humidité et de présence de micro-organismes.

Elle intervient difficilement dans le milieu naturel.

Des produits innovants pourraient cependant permettre dans un avenir proche une biodégradabilité dans les composts domestiques. L’enjeu est donc d’assurer sa collecte et sa revalorisation dans des unités adaptées. Aujourd’hui, seule une plateforme de recyclage sur trois intègre ce type de compostage mais le sénat envisage du durcir la règlementation et clarifier l’affichage lié à la compostabilité de ce type de matériaux.

La France et l’Europe plastico-dépendants

Changement climatique et crise du Covid ont mis en exergue deux choses : la nécessité de cesser nos émissions de CO2, et celle d’arrêter de dépendre d’usines lointaines, être souverains sur nos productions. Du début, à la fin.
Se passer de pétrochimie dans nos plastiques de consommation courante serait bien. Ne plus avoir besoin de pétrole pour lui faire parcourir des millions de kilomètres entre chaque étape de transformation serait encore mieux. Produire localement le matériau et les pièces finales serait le graal.

En mars 2020, Emmanuel Macron déclarait :

“Déléguer notre alimentation, notre protection, notre cadre de vie est une folie.
Nous devons en reprendre le contrôle. Construire plus encore que nous ne le faisons déjà. Une France et une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens.

Et pourtant, ce jour, nous avons des compagnies aériennes qui prônent un “retour à la normale”, des millions de tonnes d’imports divers et variés :

Et si nous devenions souverains sur cette production de plastique et de pièces importées massivement, où le coût n’est bas que pécuniairement et élevé pour notre planète ?

Ne serait-ce pas là une décision de rupture ?

En France, on a pas de pétrole mais on a des betteraves.

Vous me voyez venir ?

Au final, cet écrit est un manifeste pour une relocalisation de l’industrie, pour une indépendance vis à vis des ressources fossiles.
Un manifeste où le foncier d’aujourd’hui n’est pas simplement détruit.
Un manifeste où les terres vivrières ne sont pas bétonnées.
Un manifeste dans lequel on ne demande pas aux agriculteurs de devenir plombiers ou aux opérateurs de sucrerie de devenir restaurateurs.
Un manifeste pour que l’économie cesse d’agir de façon stupide au détriment des enjeux sociaux et environnementaux quand certaines solutions ne demandent qu’à émerger, pour peu qu’on se donne la peine d’y aller.

Alors oui, il ne suffit pas de claquer des doigts. Il faut du monde, des finances, de la recherche.
En France, nous n’avons pas de pétrole mais nous avons déjà les betteraves, les sites où les transférer et les transformer, des plans d’investissement massifs plus ou moins fléchés sur certains types d’industrie, des pôles de compétitivité.
L’environnement et le contexte sont favorables à ce type de projet.

Quelques axes

Impliquer les grandes entreprises françaises.

Plateaux et distributeurs de sauce pour l’un, flaconnages et bouchons pour un autre ou encore chariots de transport pour le dernier, les grandes entreprises de France utilisent aujourd’hui l’injection plastique à grand renfort pour de la production de masse. De la création des moules au sourçage du plastique, ces marques cherchent aujourd’hui à verdir leur image sans rogner sur la qualité finale de la production. Itérer et produire localement leur apporterait flexibilité, capacité à intégrer de nouveaux matériaux, nouveaux facteurs de forme rapidement, permettant une adaptation réactive à de nouveaux produits.
Les pellets peuvent être utilisés par l’impression 3D autant que dans l’injection plastique ou le laminage traditionnels.

Utiliser les sites en voie de désaffection, créer des alliances économiques locales.

Bien situés, souvent en friche et ne sachant qu’en faire, les sites des sucreries désaffectées se verraient des emplacement idéaux, au delà de ce qu’elles apportent comme infrastructures complémentaires à la production de PLA.

Imaginez.

Agriculteur, Luc dépose betteraves ou maïs comme il le faisait auparavant.

Quelques jours plus tard, sa production est transformée en PLA, en bio-éthanol, alimentant les stations essences, en pulpe, servant à l’alimentation des animaux.

Le PLA quant à lui, pourra servir à l’entreprise voisine pour l’emballage des salades du champ d’à coté, pour la fabrication des pots de yaourt de la laiterie voisine ou encore la production de 4000 adaptateurs pour les pompes de lave-vaisselle de l’usine d’électroménager régionale.

Les voies ferrées permettent l’acheminement des végétaux vers les sites de production mais également le transfert de l’ensemble desdites productions auprès des centres de distribution névralgiques.

Créer de l’emploi, tendre vers une industrie du “plastique” souverain et neutre en carbone.

Extraire, produire, consommer et recycler localement. Décentraliser les productions pour transporter moins.

Robotisation, innovation, fabrication à la demande et micro-usines locales

Il y a quelques années, les laboratoires et bureaux d’étude ont vu les imprimantes 3D arriver. Quelques gros opérateurs, fablab et entreprises utilisent des imprimantes 3D particulières pour créer des pièces en métal. Il ne s’agit pas là de démocratiser ces dernières mais de permettre à tous la production de pièces plastique, de l’unité à la petite et moyenne série, à partir de matériau composé sur place, aux primaires sourcés localement et complétés au besoin, de déchets et d’adjuvants offrant des propriétés de couleur, de matière, de porosité unique.

Les déchets de céramique, de ciment, de coquillage, de fibres végétales, de bois, de carbone, PLA réintroduit et d’autres se voient ajoutés au matériau créé sur place, limitant au minimum la part de PLA pur tout en conférant des propriétés originales à celui-ci.

Sous un format standardisé, les micro usines peuvent ainsi accueillir au choix ferme d’impression, module de laminage ou encore, module de composition et assemblage des pellets PLA/adjuvant, se trouvant ainsi au plus proche des utilisateurs et entreprises consommatrices : moins de transport, moins d’émissions de CO2, plus de recyclage.

Okay, c’est bien beau tout ça mais … ça coûte combien ?

Pas d’investissements sans plan de financement !
Si demain nous devions imaginer créer un site de production de A à Z, sans que la case “terrain” ne soit cochée, c’est environ 20 millions d’euros d’investissement pour 70 000 tonnes de PLA / an, incluant l’enveloppe R&D, CIR (Crédit Impôt Recherche), une trentaine de salariés, des agriculteurs payés au double d’aujourd’hui pour la tonne de betteraves.

Dans cette configuration, le PLA est vendu légèrement moins cher que son prix de marché actuel. L’idéal serait d’atteindre des capacités de production et rendement supérieurs afin d’en faire baisser le coût, et que celui-ci devienne alors moins onéreux que nos plastiques pétrochimiques.

S’agissant là d’une industrie naissante, cette capacité est amenée à évoluer. Au regard de notre consommation actuelle et à venir, c’est à peu près 1/10 ème de ce que nous consommerons en 2025.

Coté micro-usines, c’est un coût de 1 million par unité, pour quelque chose d’autonome en énergie électrique et décarbonée.

Ça fait beaucoup de sous ? Certainement !
Vous êtes-vous déjà demandé combien coûte un A320 par exemple ? La bagatelle de 90 millions d’euros (oui oui, un seul ! Cette somme s’entend à quelques milliers près).

Alors, on continue d’acheter des avions et on s’en fout ?
Ce doit être cela, le retour à l’anormal.

Vous pouvez me suivre sur LinkedIn pour continuer à en parler !

--

--

Antoine Bocquého

Entrepreneur, freelance #WebDesign #Rédactionnel #Stratégie #Ecologie / Ex Startupper, CXO TEDxOrléans